Dans cette rubrique, nous proposons cent petits textes, un par année, consacrés à la vie des livres et des écrivains, en France, au XXe siècle. Ces textes ont été publiés pour la première fois dans les Agendas de la Pléiade entre 2002 et 2011. Les événements qu’ils mettent en lumière ont certes été choisis en fonction de leur importance, immédiate ou différée, mais aussi, mais surtout, pour le plaisir d’évoquer un livre ou un auteur attachant. Leur republication simultanée ne forme donc pas une histoire littéraire du XXe siècle en cent chapitres : tout au plus une promenade en cent étapes, arbitraires et facultatives.
1985
Le 17 octobre à 13 heures, la nouvelle tombe : le prix Nobel de littérature 1985 est attribué à Claude Simon. À la troisième ligne du communiqué, avant même que ne soit caractérisée l'œuvre du lauréat, figure la formule attendue : «nouveau roman» ! (Elle occupera la même place dans le discours du secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise, le jour de la remise du prix.) Alain Robbe-Grillet est d'ailleurs en embuscade à la cinquième ligne. Faulkner et Proust, «les avant-coureurs», sont ex æquo aux alentours de la douzième ligne, ce qui n'est pas si mal : Dostoïevski, lui, est presque enterré au milieu du deuxième paragraphe.
Parution le 17 Octobre 2024
208.50 €
Qui sont les jurés Goncourt? Jean Ajalbert, le futur auteur des Mystères de l’académie Goncourt; Émile Bergerat, élu cette année-là, quoique presque aveugle; Élémir Bourges, que Jules Renard traitait de «pauvre vieillerie» et qui lui survécut quinze ans; Henry Céard, qui vient de publier ses Sonnets de guerre; Léon Daudet, qui a succédé à son père (rien d’étonnant pour un monarchiste); Lucien Descaves, qui boudera tant que l’on n’aura pas élu Courteline; Gustave Geffroy, critique d’art, président du jury; Léon Hennique, exécuteur testamentaire des Goncourt, auteur de L’Argent d’autrui; Rosny aîné, à qui l’on doit La Guerre du feu; et Rosny jeune, à qui l’on doit surtout d’avoir voté, ce 10 décembre, pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs.
Onze éditeurs ont refusé La Relève du matin quand Montherlant, dont c’est le premier livre, se décide à le publier à compte d’auteur. En octobre, la Société littéraire de France en imprime 750 exemplaires, qu’elle facture 3 500 francs.
Il s’agit d’un recueil d’essais. Son auteur aimait à rappeler que ceux-ci avaient été écrits pendant la guerre, «au front, ou, plus exactement, dans les cantonnements, aux jours de repos». Ce n’est ni totalement faux ni tout à fait vrai. Avant de rejoindre, en 1918, un régiment d’infanterie, le futur écrivain a appartenu au service auxiliaire. Une photographie reproduite dans l’Album de la Pléiade le représente assis, en uniforme, képi sur la tête, un carnet à la main. Montherlant écrit «La Relève du matin» sur une des poubelles de l’École militaire, dit la légende. (Mais faut-il croire aux légendes?) Au-dessous, sur la même page, un Montherlant casqué : Au front.
Alors que le roman est à ses yeux un voyage en ballon au gré des vents, la nouvelle, pour Morand, a l’urgence du saut en parachute : «si l’on ne saute pas dans le délai voulu, on se casse la figure». Son premier recueil, Tendres stocks, est achevé d’imprimer le 20 janvier et paraît chez Gallimard. Trois nouvelles seulement, trois prénoms féminins, Clarisse, Delphine, Aurore, d’où le titre d’ensemble, que le préfacier, Marcel Proust, juge affreux. Est-il réussi, ce premier saut? L’auteur, en tout cas, y survivra.
L’année s’annonce rude pour Paul Valéry qui, souffrant, écrit à son frère le 21 janvier: «Voici quinze jours que je dors une heure par nuit. L’esprit me travaille et me tue: c’est le principal de mes maux.»
Trois semaines plus tard meurt Édouard Lebey, administrateur de l’agence Havas. Valéry, qui était son secrétaire particulier, s’inquiète de se trouver sans situation fixe et redoute l’instabilité d’une vie vouée à la seule littérature — «les Lettres, avec les libertés, les dangers, les incertitudes infinies…»
Une nouvelle fois, Paul Souday tempête: «En quel lieu du monde, ou dans quel cerveau normal a-t-on jamais constaté cette rencontre de fantoches imaginaires et de personnes en chair et en os? Pourquoi et comment ces ombres vaines, à demi conçues par un auteur anonyme et vite fatigué d’elles, représentent-elles la vérité humaine et profonde contre les déformations de l’optique théâtrale? Quelle incohérence!»
La pièce qui provoque l’ire du critique vient d’être représentée à Paris — le 10 avril —, à la Comédie des Champs-Élysées, dans une mise en scène de Georges Pitoëff et en présence de Pirandello. Elle s’intitule Six personnages en quête d’auteur.
Depuis le début du printemps, André Breton se livre intensément à l’écriture automatique. Le 18 avril, il indique à sa femme qu’il songe à réunir en un volume les textes résultant de cette expérience et à leur donner une grande préface. Ce projet, que Léon-Pierre Quint, directeur littéraire des éditions du Sagittaire, va publier, verra le jour à l’automne d’une année bien remplie.