Dans cette rubrique, nous proposons cent petits textes, un par année, consacrés à la vie des livres et des écrivains, en France, au XXe siècle. Ces textes ont été publiés pour la première fois dans les Agendas de la Pléiade entre 2002 et 2011. Les événements qu’ils mettent en lumière ont certes été choisis en fonction de leur importance, immédiate ou différée, mais aussi, mais surtout, pour le plaisir d’évoquer un livre ou un auteur attachant. Leur republication simultanée ne forme donc pas une histoire littéraire du XXe siècle en cent chapitres : tout au plus une promenade en cent étapes, arbitraires et facultatives.
1985
Le 17 octobre à 13 heures, la nouvelle tombe : le prix Nobel de littérature 1985 est attribué à Claude Simon. À la troisième ligne du communiqué, avant même que ne soit caractérisée l'œuvre du lauréat, figure la formule attendue : «nouveau roman» ! (Elle occupera la même place dans le discours du secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise, le jour de la remise du prix.) Alain Robbe-Grillet est d'ailleurs en embuscade à la cinquième ligne. Faulkner et Proust, «les avant-coureurs», sont ex æquo aux alentours de la douzième ligne, ce qui n'est pas si mal : Dostoïevski, lui, est presque enterré au milieu du deuxième paragraphe.
Le 9 janvier, à Genève, La Semaine littéraire commence à publier en préoriginale le nouveau livre de Malraux, La Lutte avec l'ange, I. Les Noyers de l'Altenburg, auquel il travaillait déjà en août 1940, alors qu'il était prisonnier de guerre à Sens.
Le 4 septembre se tient dans Paris libéré la première assemblée plénière du Comité national des écrivains (CNÉ). Le Comité appelle le gouvernement à poursuivre les écrivains collaborateurs. Douze noms circulent : une première liste d' « indésirables ». Seul Jean Paulhan s'élève contre ce « tribunal des lettres », affirmant que « l'erreur, le risque de l'esprit, et voire l'aberration (au sens des théologiens) sont le premier droit de l'écrivain ».
La brigade Alsace-Lorraine, où sert le colonel Berger, c'est-à-dire André Malraux, résiste du 3 au 9 janvier à la poussée allemande au sud de Strasbourg. En février, Malraux participe à la bataille de Colmar et à la reprise de la colline de Sainte-Odile. La brigade entre en avril dans Stuttgart, où l'écrivain et ses compagnons seront décorés par le général de Lattre. Le 8 mai, Malraux assiste à la messe de Te Deum chantée dans la cathédrale de Strasbourg à l'occasion de la capitulation allemande.
Le livre mis en vente le 10 mai est le premier d'un auteur de quarante-six ans — du moins le premier qu'il signe seul. Il est publié par une petite maison d'édition, fondée en 1944 et animée par René Bertelé (qui sera aussi l'éditeur de Michaux), Le Point du jour. La couverture, réalisée d'après une maquette de Brassaï, représente un mur couvert de graffiti sur lequel le seul mot lisible, «âne», désigne un petit personnage dessiné sommairement. Le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage ont été peints en rouge, sans doute à la hâte : la peinture a coulé. Le nom : Prévert ; le titre : Paroles.
Un soir, vers 1930, Raymond Queneau et Michel Leiris écoutent à la salle Pleyel L’Art de la fugue de Bach. L’œuvre, didactique, est destinée à mettre en lumière les différents types d’écriture fuguée ou canonique en partant d’un sujet simple. Queneau et Leiris se demandent s’il serait possible d’en imaginer un équivalent dans le champ de l’écriture littéraire. Les Exercices de style vont apporter à cette interrogation une réponse tardive, mais positive.
«Est-ce le grand bouquin ?» demande la bande publicitaire de Pedigree, qui paraît en octobre. Un livre à part, à tout le moins : «Pedigree n’a été écrit, ni de la même façon, ni dans les mêmes circonstances, ni dans les mêmes intentions que mes autres romans, note Simenon, et c’est sans doute pourquoi il constitue une sorte d’îlot dans ma production.» L’auteur s’en explique dans une préface qui paraîtra en tête de l’édition « définitive », en 1958.