Parution le 7 Novembre 2024
Prix de lancement 144.00 € jusqu'au 31 12 2024
Dans le numéro 2 de La Lettre de la Pléiade étaient évoquées les premières étapes de la transformation d'un manuscrit en volume, depuis la préparation typographique des textes jusqu'à la relecture de l'appareil critique. Voici le récit de la suite et de la fin des opérations.
L'« éditeur » — c'est-à-dire le spécialiste qui a conçu l'édition — a reçu la première épreuve corrigée des textes et le manuscrit de l'appareil critique correspondant. Il lui faut examiner le tout dans des délais convenus, répondre aux questions et porter ses propres corrections à côté de celles du correcteur — à charge pour le responsable du volume de s'assurer que ces deux lecteurs sourcilleux, l'éditeur et le correcteur, ne se contredisent pas.
Quand l'éditeur a achevé sa relecture, on met au net les corrections qu'il a portées sur la première épreuve du texte : ces corrections devant être « saisies » par l'imprimeur, il est essentiel qu'elles soient exemptes de toute ambiguïté, afin qu'une écriture un peu trop relâchée ou un signe de renvoi approximatif ne soient pas à l'origine d'une nouvelle version des Pensées de Pascal ou des Voyageurs de l'impériale d'Aragon. De même, l'appareil critique est « nettoyé », les modifications souhaitées sont réalisées, et le dossier est « mis sous styles », c'est-à-dire codé en vue de la future mise en page.
La deuxième épreuve (ou « mise en page ») du texte et la première épreuve (ou « placard ») de l'appareil critique sont alors établies.
Si le placard de l'appareil critique ressemble fort à ce qu'était celui du texte — son format et sa pagination, notamment, sont provisoires —, la mise en page du texte donne l'image de ce que sera le livre achevé : chaque page a désormais son nombre de lignes définitif ; le caractère de la Pléiade, le garamond du roi, a fait son apparition, ainsi que la pagination véritable.
Ces deux épreuves, la mise en page du texte et le placard de l'appareil critique, sont confiées à un correcteur, pour une nouvelle lecture ; la procédure suivie est analogue à celle qui a présidé aux premières lectures, alors que le texte était en placard et l'appareil critique en manuscrit : tout est relu, repointé, revérifié. Ce travail achevé, le correcteur remet les épreuves corrigées au responsable du volume, qui les examine avant de les transmettre à l'éditeur, à qui il demande son « bon à tirer ».
L'instant est solennel... Ce « bon à tirer » offre en effet à l'éditeur une dernière occasion de revoir tel paragraphe de sa Notice, d'ajouter en contrebande (car il était censé le faire plus tôt) quelques notes jugées indispensables, et de vérifier que toutes les modifications demandées antérieurement ont été faites. Le texte ayant déjà revêtu sa forme définitive et reçu sa pagination véritable, toute intervention exige que l'on compte les signes du mot ajouté ou supprimé, pour s'assurer que la correction ne provoquera pas une « chasse », c'est-à-dire un bouleversement du contenu de la page. Le tout doit se faire en un temps limité — le moment de la publication du volume approche — et avec le plus grand soin ; l'expérience montre que ces deux exigences ne sont pas contradictoires. Enfin, l'éditeur remet au service de la Pléiade le dossier qu'il vient de revoir. L'opération est parfois douloureuse : il n'est pas toujours facile de se séparer d'une traduction ou de Notices auxquelles on a consacré plusieurs années de sa vie et qui vont figurer pendant des décennies au catalogue de la Pléiade. Mais, la confiance aidant, on se résigne...
Lorsque, d'une manière ou d'une autre, il entre en possession des épreuves sur lesquelles l'éditeur a apposé son « bon à tirer », le responsable du volume fait réaliser les corrections demandées dans l'appareil critique, puis il fait établir la deuxième épreuve (la « mise en page ») de cet appareil critique — épreuve qu'il remet au correcteur, lequel la lui rend corrigée quelques jours plus tard. Il en envoie généralement aussi une copie à l'éditeur, en le suppliant de ne plus toucher à rien, sauf aux fautes d'impression — les célèbres « coquilles » — qu'il pourrait apercevoir.
À ce stade, tout le volume — texte et notes — est mis en page, et il porte sa pagination définitive. De menues mises au point sont encore nécessaires (comme la vérification des renvois), mais le travail touche à sa fin. C'est alors que le responsable du volume donne son « bon à tirer » : au sens strict, l'expression désigne une signature engageant sa responsabilité ; dans la réalité, elle renvoie à un examen minutieux — il peut s'étaler sur plusieurs semaines — des différentes parties du livre.
En premier lieu, le responsable du volume examine les corrections qui restent à faire. Elles sont théoriquement peu nombreuses — théoriquement seulement : dans les faits, on ne refuse pas une correction (fût-elle tardive) qui apporte une amélioration indéniable au livre. Mais il faut en mesurer soigneusement les conséquences : si, sur une page donnée, les corrections semblent dangereuses (par exemple parce qu'elles risquent de modifier la mise en page), on demande à l'imprimeur une nouvelle épreuve (dite « de contrôle ») de la page en question et, éventuellement, des pages suivantes.
Puis on vérifie les « titres courants » (les titres en caractères italiques qui courent en haut des pages) et les « folios » (les numéros des pages). On « fait les bouts de lignes » pour s'assurer que la page est convenablement « justifiée » (c'est-à-dire que toutes les lignes ont bien la même longueur). On mesure une dernière fois les corps de caractères employés pour les différents titres. On tourne et retourne en tous sens les 1200, 1500 ou 1800 pages du livre, qu'enfin on abandonne au service de Fabrication.
Tout est-il terminé ? Certainement pas. Quelques jours plus tard, voici un nouveau jeu d'épreuves — encore un, qu'il faut « pointer » d'urgence : son arrivée signifie que les fichiers informatiques qui contiennent les différentes sections du livre vont être verrouillés : le tirage va commencer. Une correction demandée sur le « bon à tirer » ou sur une épreuve de contrôle a-t-elle été oubliée ? il faut l'envoyer par télécopie à l'imprimeur. Le temps manque-t-il ? on va contrôler « sur machine » (à l'imprimerie, donc) les ultimes retouches.
Cette fois, tout est terminé. Déjà l'attachée de presse informe les journalistes, le service commercial rend visite aux libraires, le service artistique réalise l'affichette qui annoncera le livre. Les collaborateurs du service de la Pléiade, eux, attendent.
Ils attendent les « bonnes feuilles », ces cahiers de 32 pages fraîchement tirés et qu'ils dépouillent fébrilement pour vérifier si « tout y est » ; ils attendent les « mousselines », ces volumes non encore reliés qui serviront d'exemplaires de travail ; enfin ils attendent les exemplaires reliés. Encore quelques jours, et le livre sera en librairie, où il vivra sa vie. Elle sera longue, et ponctuée — espérons-le — de nombreuses réimpressions.