Parution le 17 Octobre 2024
208.50 €
Extrait des Œuvres de Thérèse d'Avila et Jean de la Croix.
L’amour de Dieu cause à l’ âme une «douleur délectable». Parfois, l’ âme cherche à y remédier par des pénitences, en vain.] D’autres fois, l’élan est si violent, qu’elle ne peut faire cela ni rien d’autre, car tout le corps est brisé; on ne peut remuer ni pieds ni bras; si on est debout, on s’assied comme une chose qu’on porte, car on en perd jusqu’au souffl e: on pousse seulement quelques faibles plaintes, parce qu’on n’en peut plus; il n’y a de force que dans le sentiment.
C’est alors qu’il a plu au Seigneur de m’accorder parfois cette vision: je voyais près de moi un ange, à ma gauche, sous une forme corporelle, qu’il ne m’arrive de voir que très rarement. Des anges ont beau souvent m’apparaître, je ne les vois pas; cette vision est comme la première de celles dont j’ai parlé. Dans celle-ci, le Seigneur a voulu que je le voie sous cette forme: il n’était pas grand, mais plutôt petit, d’une grande beauté; son visage très enflammé paraissait indiquer qu’il était l’un des plus élevés, qui semblent tout embrasés. Ce doivent être ceux qu’on appelle chérubins; ils ne me disent pas leurs noms, mais je vois bien qu’au ciel il y a tant de différence de certains anges à d’autres, et de ceux-ci à d’autres encore, que je ne puis l’expliquer. Je voyais dans ses mains un long dard en or dont la pointe de fer portait, je crois, un peu de feu. Parfois, il me semblait qu’il me l’enfonçait dans le coeur plusieurs fois et qu’il m’atteignait jusqu’aux entrailles. Lorsqu’il le retirait, on eût dit qu’il me les arrachait, me laissant tout embrasée d’un grand amour de Dieu. La douleur était si vive, qu’elle me faisait pousser ces plaintes dont j’ai parlé, et la douceur qu’elle me procure est si extrême, qu’on ne saurait désirer qu’elle cesse et l’âme ne peut se contenter de rien moins que de Dieu. Ce n’est pas une douleur corporelle, mais spirituelle, bien que le corps ne manque pas d’y participer un peu, et même beaucoup. Ce sont de si doux échanges entre l’âme et Dieu, que je le supplie de bien vouloir les faire goûter, dans sa bonté, à quiconque penserait que je mens.
Tout le temps que cela durait, j’étais comme hébétée; je n’aurais voulu ni voir ni parler, mais étreindre ma peine qui était pour moi une plus grande béatitude que toutes celles du monde créé. Cela m’est arrivé plusieurs fois, quand il a plu au Seigneur de m’envoyer des ravissements si forts que, même au milieu des gens, je n’y pouvais résister. À mon grand chagrin, on commença à en parler. Depuis que je les éprouve, je ressens moins cette peine, mais celle dont j’ai parlé plus haut — je ne me souviens plus dans quel chapitre —, et elle en diffère beaucoup par bien des choses et elle est d’un plus grand prix; en revanche, dès que survient celle dont je parle à présent, on dirait que le Seigneur ravit l’âme et la met en extase, si bien qu’elle n’a pas le temps d’endurer ni de souffrir, car la jouissance est immédiate. Qu’il soit béni à jamais, lui qui accorde tant de faveurs à celle qui répond si mal à de si grands bienfaits.
Traduction de Jean Canavaggio.