En ce siecle et regne, florissoyent à Lyon deux Dames, comme deux astres radieux, et deux nobles et vertueux esprits, ou plustost deux Syrenes, toutes deux pleines d’un grand amas et meslange de tresheureuses influences, et les plus clers entendements de tout le sexe feminin de nostre temps. L’une se nommoit Loïse l’abbé. Ceste¹ avoit la face plus angelique, qu’humaine : mais ce n’estoit rien à la comparaison de son esprit tant chaste, tant vertueux, tant poëtique, tant rare en sçavoir, qu’il sembloit, qu’il eust esté creé de Dieu pour estre admirée comme un grand prodige, entre les humains. Car encor qu’elle fust instituée² en langue Latine, dessus et outre la capacité de son sexe, elle estoit admirablement excellente, en la Poësie des langues vulguaires, dont rendent tesmoignage ses oeuvres, qu’elle a laissées à la posterité : desquelles sont competans juges les Poëtes vulguaires de nostre temps. Entre ses escrits se lict un Dialogue, en prose, docte non moins, que ingenieux […]. Ce dialogue outre ce qu’il est fort moral, et plein de traits de belle Philosophie, il est diversifié de plaisans evenements, et succez qui adviennent aux amoureux, posez avec grande elegance, et beaux termes. Et ne s’est ceste Nymphe seulement faite cognoistre par ses escrits, ainçois³ par sa grande chasteté. L’autre dame estoit nommée Pernette du Guillet toute spirituelle, gentille, et treschaste […].
Guillaume Paradin, Memoires de l’histoire de Lyon,
Lyon, Antoine Gryphe, 1573.
¹. Celle-ci. ². instruite. ³. mais.
[D’aucuns] vont disant que c’est chose superflue d’escrire l’Histoire de Lyon : veu que tout de fraiche memoire, maistre Guillaume Paradin en a mis en lumiere un gros, et grand volume, où il semble qu’il a escrit tout ce que se peut dire, où escrire de ce subject […]. [J]’espere faire veoyr par bonnes preuves, que Paradin a ignoré ce, qui estoie du plus important de l’histoire de Lyon: et qu’il s’est à tout propoz laissé tresbucher en des fables et mensonges : soit qu’il precipita l’impression de son oeuvre sans la bien digerer […] : ou bien que, comme vray Gauloys, il estoit de legiere croyance¹ […]. Et de faict que Paradin aye esté de ces gens, qui croyent et escrivent legierement² , je le pourrois verifier par le recit de plusieurs discours fabuleux, qu’il a employez et affirmez pour veritables dans ses escrits : mais je me contenteray d’un seul, qui est en son histoire de Lyon. C’est là où il celebre le loz³ de ces deux insignes courtisannes, qui furent de son temps à Lyon. L’une desquelles fut Pernette du Guillet, laquelle servoit de monture à un Abbé, et à ses moynes. L’autre Loyse l’Abbé, renommée non seulement à Lyon, mais par toute la France, soubs le nom de la Belle Cordiere, pour l’une des plus insignes courtisanes de son temps. Et cependant il les qualifie deux mirouërs⁴ de chasteté, et deux parangons de vertu.
Claude de Rubys, Histoire veritable de la ville de Lyon,
Lyon, Bonaventure Nugo, 1604.
¹. il était crédule. ². inconsidérément. ³. la gloire. ⁴.miroirs.