Parution le 19 Septembre 2024
1184 pages, ill., Prix de lancement 65.00 € jusqu'au 31 12 2024
Dans le numéro 2 des Arts à Paris, le 15 juillet, on lit cette annonce, signée «Jolibois» : «Le Mercure de France vient enfin de faire paraître Calligrammes de M. Guillaume Apollinaire. Ces poèmes “de la paix et de la guerre”, 1913-1916, sont peut-être l’ouvrage le plus marquant qui ait paru durant la guerre. M. Guillaume Apollinaire ne prend pas d’attitudes, mais il part résolument à la découverte. […] L’audace ici se pare de lyrisme et de raison. On sait qu’un grand critique malheureusement mort à la guerre, M. Gabriel Arbouin, mettait M. Guillaume Apollinaire au premier rang de la poésie contemporaine avec MM. Paul Claudel et Jules Romains.»
Quatre-vingt-dix ans plus tard, il n’y a (presque) rien à retrancher : si Jules Romains s’est éloigné, Claudel est toujours là, et Apollinaire occupe à ses côtés l’une des premières places. Le critique des Arts à Paris avait du flair. Pourtant, il n’a pas laissé un nom impérissable : qui se souvient d’un «Jolibois»? À l’époque, on le citait, parfois. Ainsi, dans Nord-sud du 15 mai : «La réputation de Guillaume Apollinaire n’est plus à faire, M. Jolibois s’en est chargé», lit-on sous la plume d’un certain Laforêt. Il est vrai que Laforêt et Jolibois se connaissaient bien. Le premier n’était autre que Pierre Reverdy – et le second, Apollinaire lui-même. L’alliance du savoir-faire et du faire-savoir est un art ancien.
Ornée d’un portrait de l’auteur par Picasso, l’édition originale de Calligrammes, qui paraît en avril, comprend en fait assez peu de ces poèmes-dessins qu’Apollinaire appelle aussi des «idéogrammes lyriques». Il avait autrefois songé à en publier un petit recueil, sous un titre on ne peut plus clair : Et moi aussi je suis peintre. La souscription était même lancée, mais à une date, mi-1914, qui paraît aujourd’hui mal choisie. Naturellement, le livre ne vit pas le jour. Calligrammes, en 1918, a une tout autre ampleur. Seule la Ire partie, «Ondes», date d’avant la guerre. La IIe, «Étendards», conduit jusqu’au départ du poète pour le front, en avril 1915, tandis que dans les sections suivantes, «Case d’Armons», «Lueurs des tirs» et «Obus couleur de lune», l’amour et les armes se mêlent. La critique de l’époque s’étonne de l’image presque voluptueuse qu’Apollinaire offre de la guerre : «les pieds dans la boue, les mains transies, il regarde éclore des diamants au firmament nocturne», écrit Louis Chadourne. Si, comme Georges-Armand Masson, on n’aime pas cela, on parle de «flirt avec la guerre». Si, comme Aragon, on est poète et dada, on pose la question : «Se peut-il que le canon ait ressuscité le grand Pan?» La suite est connue : «Pan! sa tête s’ouvre, c’est une fleur.»
Une fleur ou une étoile? Apollinaire fut blessé à la tête en mars 1916. Le titre de la VIe partie du recueil, «La Tête étoilée», rappelle que sa guerre ne fut pas une suite de chants et de longs loisirs.