Le livre porte un achevé d’imprimer du 8 novembre. C’est un fort volume — 524 pages — recouvert de la couverture jaune de Bernard Grasset. Son titre? «À la recherche du temps perdu. / Tome Ier: / Du côté de chez Swann.»
L’année a mal commencé pour Marcel Proust. Vers la mi-février, il apprend que son manuscrit, déjà refusé par Fasquelle et par les éditions de la NRF, ne paraîtra pas non plus chez Ollendorff. Humblot, qui dirige cette maison, ne cache pas les raisons de son refus à Louis de Robert, qui avait joué les intermédiaires: «je suis peut-être bouché à l’émeri, mais je ne puis comprendre qu’un monsieur puisse employer trente pages à décrire comment il se tourne et se retourne dans son lit avant de trouver le sommeil.»
«Hélas», écrit Proust à Louis de Robert, «plus d’un lecteur sera aussi sévère que lui.» Mais il ne renonce pas. Il connaît le frère de Léon Blum, René, qui se trouve être lié à Bernard Grasset. Il lui écrit vers le 20 février: «Je souhaiterais que M. Grasset publiât, à mes frais, moi payant l’édition et la publicité, un important ouvrage (disons roman, car c’est une espèce de roman) que j’ai terminé. […] j’y ai mis le meilleur de ma pensée; elle réclame maintenant un tombeau qui soit achevé avant que le mien ne soit rempli.» Proust songe alors à un livre en deux volumes dont le titre général serait Le Temps perdu. Les choses ne traînent pas. En mars, le contrat est signé. L’auteur souhaite un livre bon marché, et que l’on n’utilise pas des caractères trop fins.
Les premières épreuves sont composées le 31 mars. Elles portent l’intitulé Intermittences, forme abrégée du titre alors prévu, Les Intermittences du cœur. Proust commence aussitôt à les «corriger» — et le mot est faible: «Il ne reste pas une ligne sur 20 du texte primitif», écrit-il à Jean-Louis Vaudoyer le 12 avril. Il devra se résoudre à couper le volume initialement projeté, qui aurait occupé environ 800 pages, en reportant au début du deuxième tome ce qui devait être la fin du premier. On s’oriente maintenant vers une «trilogie». Le titre est modifié, lui aussi. «Aimeriez-vous comme titre: Jardins dans une tasse de thé, ou L’Âge des noms?» demande Proust à Louis de Robert. Mais il fait un autre choix. Le 1er septembre, les deuxièmes épreuves sont entièrement imprimées; l’auteur n’y apporte que peu de modifications.
Dès la sortie du livre, le 14 novembre, Bernard Grasset en envoie quelque 400 exemplaires à la presse. Déjà une interview de l’auteur a paru dans Le Temps daté du 13. Les articles vont se succéder: Lucien Daudet, Cocteau, Maurice Rostand aiment beaucoup; Henri Ghéon et Rachilde — La NRF et Le Mercure de France —, beaucoup moins.
Le 9 décembre, douche écossaise: Proust vient de recevoir une lettre dans laquelle Francis Jammes le compare à Shakespeare et à Balzac et loue (cela ne s’invente pas) «sa phrase à la Tacite», quand il prend connaissance de l’article que Paul Souday a donné au Temps et que l’on peut résumer en une formule qui fera de l’usage: les jeunes ne savent plus écrire le français. De cet article, auquel il répondra, Proust dira à Cocteau: «J’y ai aperçu mon livre comme dans une glace qui conseille le suicide.»
Parmi les nombreuses personnes à qui il fait porter un exemplaire de Du côté de chez Swann figure la comtesse Greffulhe, qui est l’un des modèles de la duchesse de Guermantes. Elle n’en découronnera que les premières pages.