Parution le 19 Septembre 2024
1184 pages, ill., Prix de lancement 65.00 € jusqu'au 31 12 2024
M. Bergeret à Paris paraît chez Calmann-Lévy le 6 février. Le livre se compose de textes d’abord parus dans la presse, dans L’Écho de Paris pour ce qui deviendra le chapitre I, puis, après que L’Écho eut commencé à soutenir l’antidreyfusisme, dans Le Figaro, entre le 5 juillet 1899 et le 26 septembre 1900. La comparaison entre ces publications «à chaud» et le texte de 1901 témoigne de l’évolution de la pensée de France au fil des événements.
«Demain, tu seras à Paris, dit M. Bergeret à Riquet. C’est une ville illustre et généreuse. Cette générosité, à vrai dire, n’est point répartie entre tous ses habitants. Elle se renferme, au contraire, dans un très petit nombre de citoyens. Mais toute une ville, toute une nation résident en quelques personnes qui pensent avec plus de force et de justesse que les autres. Le reste ne compte pas. Ce qu’on appelle le génie d’une race ne parvient à sa conscience que dans d’imperceptibles minorités. Ils sont rares en tout lieu les esprits assez libres pour s’affranchir des terreurs vulgaires et découvrir en eux-mêmes la vérité voilée.»...
Ainsi se clôt le chapitre II de M. Bergeret à Paris, dernier volet d’Histoire contemporaine, la tétralogie d’Anatole France: sur cette déclaration du héros à son ami Riquet, l’un des chiens les plus charmants de l’histoire de la littérature. Ces propos, sur lesquels on pourrait aujourd’hui se méprendre, ont la valeur d’un manifeste, dont le roman est comme l’illustration.
M. Bergeret à Paris paraît chez Calmann-Lévy le 6 février. Le livre se compose de textes d’abord parus dans la presse, dans L’Écho de Paris pour ce qui deviendra le chapitre I, puis, après que L’Écho eut commencé à soutenir l’antidreyfusisme, dans Le Figaro, entre le 5 juillet 1899 et le 26 septembre 1900. La comparaison entre ces publications «à chaud» et le texte de 1901 témoigne de l’évolution de la pensée de France au fil des événements.
Le 3 juin 1899, la condamnation de Dreyfus a été cassée, ce qui provoque des manifestations antidreyfusardes, puis socialistes. Les événements se précipitent: retour en France de Dreyfus, procès de Rennes, attentat contre l’avocat Labori. Le 9 septembre tombe le verdict: nouvelle condamnation avec, cette fois, les circonstances atténuantes. Une demande de grâce est déposée. Le 19, elle est accordée. Mais rien n’est terminé. Aux élections sénatoriales de janvier 1900, majorité dreyfusarde. Aux municipales de mai, succès des nationalistes parisiens. À la Chambre, puis au conseil de Paris, la droite et la gauche en viennent aux mains. On pense au célèbre dessin de Caran d’Ache, qui date de 1898: les membres d’une famille se battent comme des chiffonniers autour d’une table; Ils en ont parlé, dit la légende.
Il reste que le sujet du nouvel opus de France n’est pas tout à fait l’Affaire Dreyfus. Un seul chapitre lui est consacré, au point que l’on a pu dire que M. Bergeret était le roman de «l’Affaire sans Dreyfus». La visée, quoi qu’il en soit, est ici plus large. Le livre marque la naissance d’un type de personnage promis à un grand avenir, en littérature comme ailleurs. Dans certains des textes donnés au Figaro, Bergeret semblait mélancolique. Plus rien de tel dans le roman de 1901: le penseur isolé, peut-être dépassé, en tout cas réduit à l’impuissance, a pris une nouvelle dimension et acquis un nouveau statut. Le voici aux prises avec les affaires de la cité. Non que Bergeret, naguère paisible latiniste, joue de la canne plombée dans les rues. C’est la parole qui est devenue action.
La voie est étroite. Opposé aux nationalistes, Bergeret, ou France – il devient difficile de les distinguer –, n’est pas pour autant approuvé par tous ses pairs. Il est l’un des seuls à plaider la cause de la raison humaniste. Mais il fait partie de ceux qui pensent que l’esprit est susceptible de triompher de toute une société liguée contre lui: «si même cette république ne devait jamais exister je me féliciterais d’en avoir caressé l’idée». Il parle beaucoup, ce Bergeret. C’est en quelque sorte son activité principale. Sans doute l’intrigue romanesque en souffre-t-elle, mais cela importe peu. Le livre peut se passer d’«action» désormais: il est lui-même un acte. Lucien Bergeret et Anatole France sont des intellectuels.